Poésies complètes [Arthur Rimbaud]
Je dois reconnaître, quitte
à paraître un temps soit peu inculte, que je ne m’étais jamais réellement
penché sur l’œuvre rimbaldienne. Comme tout un chacun, je connaissais (bien maladroitement)
les quelques poèmes portés aux nues par le XXeme siècle, bercé par le chant des
Voyelles ou par la mélodie du Dormeur du Val, mais je ne m’étais jamais
attelé à la lecture plus approfondie d’une poésie qui pourtant regorge de
joyaux. Errare humanum est, mais la faute est dorénavant réparée.
Ce qui me subjugue le plus,
c’est la verve avec laquelle Rimbaud manie un langage vulgarisé, des locutions
empoussiérées par des décennies de romantisme mielleux : la langue française
qui, sous la plume d’Anatole France, s’enfonce dans la mièvrerie, retrouve ici
une nouvelle jeunesse (due aussi à l’écriture – volontairement – enfantine du
poète). On aperçoit, au détour d’un sonnet, une esthétique presque
baudelairienne, notamment dans la perception insolite de la laideur (qui n’est
pas sans rappeler Une charogne)
illustrée par Vénus anadyomène
:
Comme d'un cercueil
vert en fer blanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D'une vieille baignoire émerge, lente et
bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ;
Puis le col gras et gris, les larges
omoplates
Qui saillent ; le dos court qui rentre et
qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent
prendre l'essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles
plates ;
L'échine est un peu rouge, et le tout sent
un goût
Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu'il faut voir à la
loupe...
Les reins portent deux mots gravés : Clara
Venus ;
– Et tout ce corps remue et tend sa large
croupe
Belle hideusement d'un ulcère à l'anus.
J’ai eu cependant certains
rebuts face au fouillis d’exégèses proposées dans cet ouvrage et qui nuisent
selon moi à une lecture appréciable, il me faudrait lire ces Poésies une
seconde fois pour en savourer la quintessence, sans parasitages. Autres faits
malencontreux, je me suis heurté à un alourdissement de la syntaxe et à une
hypotaxe hasardeuse dans quelques (mais assez rares) poèmes, comme Le Forgeron, qui peuvent détériorer le
sens que le poète a voulu y mettre. En revanche, le ton sarcastique de Ce qu’on dit au poète à propos des fleurs
ou encore de Rage de Césars est
délectable.
Ma préférence va
indéniablement aux poèmes de l’Album Zutique, où le talent de Rimbaud pour le
pastiche et la dérision atteint son zénith : le poète va même jusqu’à parodier
les Fêtes Galantes de son compagnon Verlaine (l’Album Zutique est
d’ailleurs l’unique trace de collaboration entre les deux hommes).
Je vous conseille donc de découvrir, voire redécouvrir ces Chercheuses de poux, ces Corbeaux et autres Bohème qui sont autant de bijoux
fondateurs de la poésie contemporaine.